la dame à la licorne

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Explicatif : le symbolisme du cycle de la tapisserie La Dame et la Licorne

L'arrivée du cycle de tapisseries La Dame et la Licorne à l'Art Gallery of New South Wales à partir du 10 février offre une occasion rare de voir une œuvre d'art vénérée par les spécialistes et les passionnés. Elle a été qualifiée de "Mona Lisa du Moyen Âge" ou de "trésor national de la France". Composée de six pièces individuelles et réalisée vers 1500, les tapisseries d'une telle qualité sont rares et peu d'exemples subsistent.

‘Smell’ c1500, from The lady and the unicorn series. wool and silk, 368 x 322 cm Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, Paris Photo © RMN-GP / M Urtado

Matériellement, ils sont à couper le souffle. Leurs fonds millefleurs élaborés forment des motifs hypnotiques. La matière somptueuse dans laquelle ils sont tissés - laine et soie, teintes avec de riches colorants naturels - isole le spectateur (ce qui fait littéralement partie de leur fonction d'origine.) Ils étouffent le son, créant une atmosphère de médiation tranquille. L'air est apaisé et la lumière est enrichie par leurs surfaces, générant une aura transcendantale qui attire le spectateur dans leur univers interne complexe.

Le cycle a attiré l'attention du public pour la première fois au milieu du 19e siècle, lorsqu'il a été découvert en train de se morfondre dans le château de Boussac, situé dans le centre de la France. Rongés par les rats et menacés par l'humidité, ils ont été sauvés par le musée de Cluny en 1882, pour la modique somme de 25 500 francs.

‘Touch’ c1500, from The lady and the unicorn series. wool and silk, 373 x 358 cm Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, Paris Photo © RMN-GP / M Urtado

Le montant payé par le musée de Cluny n'aurait toutefois représenté qu'une fraction du coût initial de leur production. Des tapisseries de cette qualité auraient coûté plus que le revenu annuel de tous les membres de la noblesse, sauf les plus riches. Plus qu'un cuirassé. Bien plus que ce que Michel-Ange a été payé pour peindre le plafond de la Sixtine.

Il n'est donc pas surprenant que le patron du cycle soit issu d'une famille noble étroitement liée à la monarchie française, les Le Viste. Cela ressort clairement des symboles héraldiques représentés sur les tapisseries elles-mêmes. Elles ont très probablement été conçues par le "Maître d'Anne de Bretagne" (appelé ainsi parce qu'il a conçu un livre d'heures pour la reine française, Anne de Bretagne), un artiste prééminent de l'époque.

Detail of ‘Taste’ c1500, from The lady and the unicorn series. wool and silk, 377 x 466 cm Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, Paris Photo © RMN-GP / M Urtado

Bien que nous puissions nous focaliser sur l'artiste qui a conçu la composition, les tapisseries étaient réalisées en collaboration, et le cycle de la Dame et de la Licorne a probablement été tissé dans le sud des Pays-Bas, et non en France, car le niveau de qualité du tissage y était plus élevé.

Compte tenu des efforts et de l'investissement nécessaires à leur production, il n'est guère surprenant que le sujet des tapisseries soit complexe - quelque chose qui mérite plus qu'un simple coup d'œil. La signification du cycle a fait l'objet de nombreux débats. Les experts s'accordent aujourd'hui (généralement) à dire qu'il s'agit d'une méditation sur les plaisirs terrestres et la culture courtoise, présentée à travers une allégorie des sens.

Detail of ‘Taste’ c1500, from The lady and the unicorn series. wool and silk, 377 x 466 cm Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, Paris Photo © RMN-GP / M Urtado

Cinq des tapisseries représentent chacune un des sens (le toucher, le goût, l'odorat, l'ouïe et la vue). Chacune montre une femme (la "Dame" du titre) accomplissant une action destinée à illustrer le sens en question. Dans "Odorat", la dame se voit présenter un plat d'œillets. Dans "L'ouïe", elle joue de l'orgue. Dans "La vue", elle tient un miroir qui reflète l'image d'une licorne posée sur ses genoux.

‘Sight’ c1500, from The lady and the unicorn series. wool and silk, 312 x 330 cm Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, Paris Photo © RMN-GP / M Urtado

Chacun de ces gestes est présenté avec beaucoup de charme et de grâce, à travers des lignes doucement incurvées qui ne présentent pas de transitions brutales. Pourtant, tout n'est pas aussi paisible qu'il n'y paraît. Car il existe une sixième tapisserie. Bien qu'il soit évident que les six tapisseries sont censées former une unité, car chacune d'entre elles présente le même format et les mêmes figures de base, la sixième œuvre rompt le schéma des cinq autres.

 


Ici, la Dame est représentée en train de remettre des bijoux (portés dans les autres tapisseries) dans un coffret. Son action n'est pas liée à une expérience sensorielle ou empirique, comme c'est le cas dans les cinq autres tapisseries, mais est plutôt motivée par une autre force - cognition, raisonnement moral ou émotion.

‘Mon Seul Desir’ c1500, from The lady and the unicorn series. wool and silk, 377 x 473 cm. Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, Paris Photo © RMN-GP / M Urtado

Un sixième sens

Un sixième sens est représenté dans cette sixième tapisserie, qui présente une autre manière de connaître le monde. Ce sens semble avoir non pas une, mais plusieurs dimensions. Sur le plan intellectuel, il peut être considéré comme le sens commun, ou le sens "interne". En termes de rhétorique courtoise, le sixième sens peut être considéré comme le cœur, la source de l'amour courtois et le foyer de forces complexes ou concurrentes - libre arbitre, passion charnelle, désir.

C'est ce sixième sens qui conduit la Dame à remettre ses bijoux dans son coffret. Ce geste peut être interprété comme un signe de sa vertu, une expression de la domination de sa raison sur les sensations physiques qu'elle éprouve dans les autres tapisseries, ou encore de la volonté comme centre de l'être. Dans cette interprétation, la phrase Mon Seul Désir pourrait être lue non pas comme "mon seul désir" mais comme "par ma propre volonté".

Detail of ‘Mon Seul Desir’ c1500, from The lady and the unicorn series. wool and silk, 377 x 473 cm Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, Paris Photo © RMN-GP / M Urtado

Cette approche à plusieurs niveaux de l'interprétation des tapisseries se retrouve dans d'autres caractéristiques localisées. Par exemple, la licorne, qui est représentée dans les six tapisseries, incarne des significations diverses qui se chevauchent. Les licornes étaient des animaux héraldiques courants, et apparaissent fréquemment dans la littérature courtoise. Depuis le deuxième siècle, elles sont considérées comme représentant la chasteté ou la pureté. Cette signification est certainement liée à la lecture de la tapisserie Mon Seul Désir proposée ci-dessus.

La licorne fait également office d'emblème de canting, c'est-à-dire de jeu de mots sur le nom du commanditaire. Le Viste se prononce plutôt comme "Le Vite" en français, ce qui signifie rapide. Rapide, comme une licorne.

Detail of ‘Sight’ c1500, from The lady and the unicorn series. wool and silk, 312 x 330 cm Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, Paris Photo © RMN-GP / M Urtado

L'inclusion de la licorne contribue également au sentiment que les tapisseries encouragent intentionnellement le spectateur à évaluer les types de connaissance ou de compréhension. Les représentations de licornes (passées et présentes, pourrait-on dire) soulèvent des questions sur la façon dont nous parvenons à savoir, et sur la façon dont la connaissance empirique existe parallèlement à la tradition, à la culture, à l'imagination et à l'expression créative.

Plus qu'une série d'objets ayant une signification esthétique, historique et économique remarquable, les tapisseries La Dame et la Licorne offrent l'opportunité de confronter comment différentes formes de compréhension et d'expérience se chevauchent pour former des croyances, façonner des perspectives et précipiter l'action.

 


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