Lorsque le dessinateur belge Hergé est décédé en 1983, il a laissé derrière lui une dernière aventure de Tintin, inachevée. Intitulée Tintin et Alph-Art, l'histoire repose sur un plan diabolique visant à enlever Tintin et à l'enrober de polyester liquide. Le vaillant garçon reporter deviendrait ainsi une "sculpture vivante", belle mais morte. "Votre cadavre sera exposé dans un musée", gloussait le méchant (selon les notes d'Hergé). "Et personne ne se doutera que l'œuvre constitue la dernière demeure de Tintin".
Trois décennies plus tard, ce complot infâme vient peut-être d'aboutir. Les Aventures de Tintin, une aventure à la Indiana Jones du réalisateur Steven Spielberg, passe des rues pavées de Paris aux bazars et aux collines d'Afrique du Nord à la recherche d'un trésor enfoui. À première vue, tout va bien. Mais en regardant de plus près les protagonistes du film, avec leurs étranges traits vestigiaux et leur regard vide et marbré, on en vient à soupçonner que voici enfin la version d'Alph-Art que l'on pensait ne jamais voir le jour.
Officiellement, Les Aventures de Tintin est un amalgame de trois anciens contes d'Hergé (Le Crabe aux pinces d'or, Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham le Rouge), les ambiguïtés ayant été aplanies et l'accent ayant été mis sur l'action plutôt que sur la comédie. On y voit comment le jeune reporter (interprété ici par Jamie Bell) récupère une maquette de bateau sur un étal de bric-à-brac et se retrouve immédiatement pris pour cible par toutes sortes d'hommes armés. Il s'avère que le bateau contient un parchemin roulé qui indique la route vers une cachette d'or et de bijoux perdue depuis longtemps. En cours de route, Tintin fait la connaissance du capitaine Haddock (Andy Serkis), un descendant de la noblesse des mers, turbulent et imbibé de whisky, désormais retenu comme un prisonnier virtuel à bord de son bateau.
Dans une séquence superbement exécutée, Tintin, Haddock et le chien Milou doivent s'introduire dans la cabine pour arracher les clés de la main d'un marin endormi alors que le bateau roule et tangue sur une mer agitée. Sauf qu'une fois à l'intérieur, Haddock continue de chercher à tâtons une insaisissable bouteille de whisky et Milou le sandwich non mangé sur la couchette supérieure. Seul Tintin, emblème de la vertu, a la présence d'esprit d'aller directement aux clés.
Pourtant, si les grandes scènes sont souvent traitées de manière exubérante, les détails humains font cruellement défaut. Il est curieux qu'Hergé ait réussi à obtenir plus d'expression avec ses yeux à l'encre et ses humbles dessins au trait qu'une banque d'ordinateurs et une armée d'animateurs n'ont pu le faire. À l'évidence, la technique pionnière de "capture de performance" du film est encore trop grossière et peu raffinée. En capturant le papillon, elle le tue aussi. Il en ressort un ensemble de personnages (Haddock bouffi et moribond, Tintin opaque et inexpressif) qui pourraient aussi bien être épinglés sur des planches et protégés par une vitre.
Vu de loin, Les Aventures de Tintin s'impose comme un divertissement en roue libre et plein d'entrain. Mais ces gros plans sont douloureux, un coup de poignard. Sur l'écran, nous voyons les anciens protagonistes d'Hergé, ressuscités comme Lazare et remis en selle. Mais il n'y a plus d'étincelle, leurs yeux sont poussiéreux, et regarder leurs pitreries revient à faire la fête avec des fantômes. Détournez-vous, ne croisez pas leur regard. Lorsque nous regardons dans le vide, le vide nous regarde en retour.

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